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« Tres Islas » Chronique d’une communauté oubliée.
« À l’écart de la ville et de la justice »

Chaque pays a ses attraits. Cela peut être une belle montagne blanche, des ruines anciennes et majestueuses, une mer bleue dans un paradis tropical ou une jungle luxuriante et colorée au milieu d’une étendue verte. Mon pays, le Pérou, possède tout cela à la fois. De nombreux touristes viennent chaque année pour profiter de la beauté de nos montagnes, du soleil près des plages de sable et de l’incroyable fleuve Amazone qui passe au milieu de la jungle, où vivent de nombreuses communautés indigènes.Toutes ces attractions sont connues du monde entier. Le gouvernement a investi dans la promotion de celles-ci invitant les touristes à venir découvrir nos paysages étonnants et pour autant que je sache, ils sont réellement incroyables. Cependant, il est vraiment choquant de constater que lorsque vous passez près de certains de ces espaces verts ou de ces lacs bleus, ils ne sont plus aussi colorés, vous pouvez remarquer que quelque chose est en train de se passer.

C’est l’impression qui m’est immédiatement venue lorsque je suis arrivé pour la deuxième fois de ma vie au sein de l’amazonie péruvienne. Ce que j’ai appris durant cette période en travaillant là-bas avec l’équipe juridique a changé ma vie et mon point de vue. Je dirais que je n’étais plus la même étudiante en sortant qu’en arrivant. Nous avions un cas à résoudre, mais plus que ça, il y avait une communauté entière et sa future génération qui dépendait de nous.

Le cas des « Tres Islas »

La communauté de  “Tres Islas”  est située dans la région de Madre de Dios, dans le sud-est du pays. 103 familles vivent dans cette zone. Leurs principales activités sont l’agriculture, la pêche et la cueillette. Leur vie a commencé à changer en 2010.

 

La communauté était préoccupée par les incursions régulières dans la région d’un groupe d’hommes. Ils venaient en voitures et avec des équipements spéciaux. La population a réalisé qu’ils faisaient partie d’une exploitation minière illégale et a donc décidé d’en bloquer l’entrée avec une grande barrière en bois. Ensuite, deux groupes de mineurs ont introduit  un recours d’habeas corpus  contre la communauté. L’argument principal était le présumé blocage d’un espace public fait par la communauté sans autorisation. Les requérants ont considéré l’entrée de la communauté comme un espace public. La Cour supérieure de justice de la région s’est prononcée en faveur des mineurs qui ont donc pu continuer l’activité d’extraction. En 2011, La communauté, avec l’aide de l’équipe juridique de l’Institut international IIDS, a fait appel de la décision et le Tribunal constitutionnel a annulé le jugement rendu en première instance par la Cour. Leur argument le plus fort était la protection du droit à l’autodétermination des populations autochtones reconnu par l’article 89 de la Constitution péruvienne, l’article 14 de la Convention 169 de l’OIT et la jurisprudence de la Cour interaméricaine de justice. En conséquence, la population a été légitimée dans son bon droit mais le problème n’a pas été résolu.

Malgré le jugement rendu par la Cour, les mineurs n’ont pas voulu respecter ladite décision et ils ont de nouveau pris la zone. Ainsi, les lacs ont été contaminés, les poissons ont été empoisonnés, alors même que c’est l’aliment de base de la population. En conséquence, les indigènes ont commencé à avoir un niveau élevé de mercure dans leur corps et à tomber malade. De plus, Ils ne pouvaient plus planter d’arbres ou de légumes car les arbres étaient régulièrement coupés et le sol était contaminé. La santé et la vie de ces personnes étaient en danger.

La communauté a fait appel au tribunal constitutionnel qui a ordonné de bloquer l’entrée afin d’éloigner les mineurs illégaux. Le tribunal a garanti le droit à l’autodétermination de la population indigène, mais ils n’ont pas résolu le problème de l’empoisonnement au mercure et la question des compensations pour les dégâts que la population a subi. Malgré cela, les mineurs illégaux ont de nouveau continué de s’infiltrer dans le périmètre, la communauté n’étant pas en mesure de surveiller toute la zone en permanence. Il n’y avait qu’une seule option à essayer pour parvenir à une solution définitive qui aurait pu être suivie par tout le monde: la conciliation.

La conciliation entre les Autorités et la Communauté.

Notre équipe juridique a été chargée de diriger cette réunion dans la capitale de la région de Madre de Dios. 

Nous avons eu quelques jours pour conseiller l’ensemble de la communauté afin de préparer toutes les questions et pétitions qui allaient être adressées aux autorités. 

Le 20 juin 2016, la réunion a commencé, en présence de toutes les parties prenantes, incluant les médias. Lors de la première partie de l’événement, la communauté indigène a expliqué sa situation et quelles étaient ses attentes. Elle a présenté des témoignages, des rapports médicaux, des photos et des vidéos. Puis, alors que nous faisions une pause pour passer à la deuxième partie de la réunion, le gouvernement a publié un décret d’état d’urgence pour la région de “Tres Islas”. Cependant, ledit décret ne résolvait pas le problème car il ne proposait pas de mesures concrètes ou de solutions spécifiques au cas présent. Le contenu du décret était en fait très vague.

A la fin de la conférence, nous avons pu discuter avec d’autres autorités de la région et nous avons obtenu un accord avec l’institution de santé publique afin d’effectuer une analyse de mercure auprès de toute la population afin de savoir combien de personnes avaient été contaminées et comment les traiter en fonction du niveau d’intoxication. Nous avons également obtenu un approvisionnement alimentaire d’urgence grâce à la fédération de pêche qui a accepté d’acheminer des poissons d’autres communautés qui n’étaient pas infectées. Nous avons demandé au juge local de contrôler l’exécution du jugement, ce qu’il a accepté de faire.

Nous avons eu le sentiment de ne pas avoir totalement gagné. Nous avons déclenché la réaction du gouvernement central péruvien, mais nous voulions des mesures qui pourraient rapidement se concrétiser en actions. Ce que nous voulions vraiment était d’empêcher les mineurs d’entrer dans la zone, le traitement gratuit de la population et de la région contre l’empoisonnement au mercure et une compensation pour les dommages faits à la nature.

Après la conciliation: L’héritage de la communauté de “Tres islas”

Après la réunion, l’équipe juridique est retournée au sein de la communauté. Les habitants étaient très satisfaits et nous ont montré à quel point ils étaient reconnaissants de ce pas vers la justice. Pour eux, le décret d’urgence avait une valeur très importante et c’était le cas. Cependant, nous leur avons conseillé d’être vigilant et à partir de ce jour, ils l’ont été davantage.

Mieux impliqués dans l’aspect légal de leurs revendications, ils ont mieux compris le contenu du verdict. De plus, ils ont organisé un comité spécial, chargé de suivre l’affaire et de leurs apprendre les droits dont ils bénéficient en tant que communauté indigène.

L’une des femmes du nouveau comité, Juana Payaba, a déclaré que “C’est un cas historique et nous nous sommes battus pour cela. Nous nous sommes battus pour nos droits pendant des années, nous avons été entendus par la Cour, ils nous ont dit que nous avions raison. Nous, une petite ville dans la jungle, nous nous sommes battus contre les mineurs, les autorités et les entreprises qui voulaient prendre ce qui est notre héritage pour nos prochaines générations. Nous devons rester forts pour faire de notre lieu un endroit plus sûr et agréable à vivre”.

Elle était la plus légitime à tenir ce discours, Juana a été la première personne à demander de l’aide et à aller au tribunal alors que personne ne croyait que la communauté avait une chance de gagner. Nous espérons vraiment que cette affaire pourra servir d’inspiration à d’autres, car cette communauté a montré que peu importe la puissance et l’importance de son adversaire, on peut toujours défendre ses droits, car chacun d’entre nous a le droit d’être traité avec dignité et respect.

Dix ans plus tard

Cela fait presque 10 ans que cette affaire a eu lieu et 4 ans que je n’ai pas visité la région. Heureusement, il y a eu beaucoup de changements positifs. En 2019, le Tribunal constitutionnel a réaffirmé l’invalidité des 127 concessions minières en confirmant donc l’arrêt de leur activité. Plus récemment, la Cour interaméricaine de justice a demandé au gouvernement péruvien de mettre en œuvre et de développer des mesures pour protéger la zone. Cependant, la crise de la Covid-19 représente désormais la principale préoccupation du gouvernement, ces nouvelles procédures devront donc attendre.

En espérant que la Cour interaméricaine surveille et supervise l’exécution des jugements, le gouvernement péruvien devra également s’efforcer de réparer les dégâts de l’exploitation minière. Il ne s’agit pas d’une affaire qui se résolvera au moment où les entreprises cesseront de travailler sur la zone, mais lorsque les gens seront soignés des infections dues à la pollution, lorsque les arbres seront à nouveau planter et les rivières nettoyées. Une tâche titanesque et vraisemblablement une mission impossible puisqu’une grande partie des ressources touchées ne se régénérera pas. D’où l’importance de médiatiser des affaires comme celle de Tres Islas où la vie et les droits des personnes, ainsi que l’environnement, peuvent être défendus et où la population autochtone peut retrouver la paix.

Article écrit par Mayra Quispe Trejo

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